lundi 29 octobre 2007

Control


Si, comme moi, vous avez longtemps cru que le chanteur de Love Will Tear Us Apart était Joey Division, je ne saurais que trop vous recommander d'aller voir Control. Ce film d'Anton Corbijn retrace la naissance de Joy Division et surtout le parcours d'Ian Curtis, le chanteur sensible et torturé du groupe. Sam Riley qui incarne son rôle est sublime. Pendant la projection, mon voisin britannique, un ex fan invétéré du groupe, n'a cessé de me chuchoter à quel point c'était "accurate": les vêtements des musiciens, les pas et mimiques de Curtis en transe, sa relation avec sa femme et avec sa maîtresse Annick Honoré - une journaliste belge qui travaillait à la Chancellerie ! -, sa première apparition à la télé en 1978 ...
La photo du film est impeccable : le noir et blanc donne un cachet romantico-gothique à Macclesfield, le village où vivaient Curtis et sa femme Debbie.
On pourrait peut-être reprocher au film son côté esthétisant mais personnellement, je raffole de ces plans-photos superbement cadrés. Puis, par ailleurs, Corbijn a su garder la tête froide face au mythe : il évite le mélo et ne s'attarde pas sur l'ascension du groupe. Bref, un très bon film (encore projeté à l'Actor's Studio).

samedi 27 octobre 2007

Antonina Velikanova

Vu hier au Varia Genèse 2 d'Ivan Viripaev. La pièce s'inspire d'un texte d'Antonina Velikanova , une ancienne prof de maths schizophrène et de sa correspondance avec Viripaev :

« Bonjour ! Je m’appelle Antonina comme vous l’a appris Arkadii Ilyitch (...) Je vous transmets ma pièce. Pas pour que vous la jugiez. Je ne suis pas dramaturge, j’étais dans le passé professeur de mathématiques (maintenant pour moi tout est dans le passé), mais j’ai décidé sans savoir pourquoi d’écrire précisément pour le théâtre. Peut être parce que « Le monde est un théâtre et les gens sont des acteurs »...
J’ai compris ce que cela signifie, j’espère que ma compréhension sera entendue par les spectateurs. Bref, j’ai écrit une pièce. Je vous la transmets. Je vous prie, si c’est possible, de la mettre en scène. Arkadii Ilyitch m’a dit que, dans votre théâtre, vous mettez en scène même les pièces de gens qui sont en prison pour assassinat. Je n’ai tué personne, je n’ai fait du mal à personne, mis à part moi-même et mes proches. Si la mise en scène se réalise, je considérerai que j’ai accompli ma tâche. Si ce n’est pas possible, donnez-moi une réponse. Si vous le jugez nécessaire, vous pouvez réduire ou compléter ce texte comme bon vous semble.
Prenez garde à vous. Je ne crois pas en Dieu, je ne vous bénis pas mais je vous souhaite bonne chance. Respectueusement. »
Antonina Velikanova.

J'aimerais en savoir plus sur cette Antonina Velikanova mais ne trouve presque aucun renseignement autobiographique sur le net. Je ne sais même pas si elle vit encore ...
Sur le site du Soir, une interview intéressante avec le metteur en scène Galin Stoev.




mardi 16 octobre 2007

Dernière pensée du jour

Un dernier extrait de Deux Anglaises et le Continent dédié à tous nos amis anglophones qui apprennent le français.

Muriel, l'une des deux Anglaises, déclare à sa soeur et à Claude, son ami et "professeur" de français :

« Un peuple qui n’a que son sa ses comme possessifs, que le possesseur soit un homme ou une femme, n’est pas un peuple pratique. Il se laisse prendre le Canada. Il mit sa main sur son épaule peut avoir quatre sens différents. »

Je vous laisse à cette réflexion et vous parlerai la prochaine fois d'un essai de D.H. Lawrence, si toutefois je le retrouve.


Cyclisme et natation

Quand je fais du vélo en ville, je me donne l'impression d'être un assassin qui aurait les flics aux trousses.

A part ça, un fonctionnaire communiste m'a raconté ce midi qu'il avait appris à nager à 32 ans. Il prétend pouvoir enseigner la nage à quiconque en 30 minutes. La chancellerie est décidément un lieu étonnant ...

vendredi 12 octobre 2007

Onanisme

Deux Anglaises et le Continent, Henri Pierre Roché


Chapitre XIII : Confession de Muriel (p.218-22)


"J'avais huit ans. Une fillette, Clarisse, d'un an plus âgée, était la première de ma classe, et moi la seconde. Elle avait de jolies nattes rousses autour de la tête, des sourcils élevés et un air d'ange. On me la donnait comme exemple en tout. Sa famille vint passer en vacances une semaine chez nous. On manquait de lits. On la mit dans le très grand mien, qui a un ciel, à la place d'Anne qui était chez mon oncle.

Quand nous fûmes seules elle ôta sa longue chemise de nuit, la plia et la mit sous l'édredon, elle m'ôta la mienne, la plia et la mit avec la sienne. Elle rabattit le drap sur nous et me prit dans ses bras. J'étais toute dévotion pour elle. Ce fut une nuit de caresses de deux petites filles, l'une décidée, l'autre docile. Elle était comme une poupée en sucre rose. Elle m'apprit qu'il était agréable de toucher certaines parties du corps, une surtout. Nous le fîmes chaque nuit. Nous remettions nos chemises à l'aurore. Elle me persuada que c'était notre secret et qu'il ne fallait point en parler. Je ne pensais pas que c'était mal, son prestige pour moi s'était encore accru, et je lui avais de la reconnaissance. Quand elle partit, je continuai parfois, seule, en regrettant son absence.

Je n'ai pas de souvenirs spéciaux jusqu'à onze ans. C'était devenu alors une habitude à éclipses, et, sans savoir pourquoi, je commençai à lutter contre.
(...)
Vers dix-sept ans, je me rappelle un chaud dimanche, parmi les coquelicots, les papillons, sous le soleil, avec les alouettes ; étendue sur le dos dans un champ de blé mûr, en regardant le ciel bleu, je succombai soudain, largement, poussée par je ne sais quelle force. Alors ce fut une grande reprise. Je sanglotais de remords. Je poussais mon lit face aux étoiles pour qu'elles m'aident. Je portai un bracelet juré inviolable. Je mettais ma Bible à côté de ma main. J'eus des mois de victoire, et des défaites soudaines. Parfois je considérais la Chose comme un moyen pratique de m'endormir vite et de réchauffer mes pieds froids.
(...)
Une journée paresseuse, un soir sans prière, une fatigue excessive des muscles ou de l'esprit, prédisposent à pécher.
Le livre américain : Ce qu'une fille doit savoir, est bon. Si j'avais su que telle partie de mon corps fabriquerait un jour mes enfants j'aurais résisté à Clarisse.
J'ai cru longtemps que le sexe de la femme est interne et que tout ce qui est extérieur est sans rapport avec lui.
Si Mère n'avait pas mis Clarisse dans mon lit, j'aurais ignoré cela toutes ces années."



lundi 8 octobre 2007

Qu'est-ce que la litost ?

"Litost est un mot tchèque intraduisible en d'autres langues. Sa première syllabe, qui se prononce longue et accentuée, rappelle la plainte d'un chien abandonné. Pour le sens de ce mot je cherche vainement un équivalent dans d'autres langues, bien que j'aie peine à imaginer qu'on puisse comprendre l'âme humaine sans lui.
Je vais donner un exemple : L'étudiant se baignait avec son amie dans la rivière. La jeune fille était sportive, mais lui, il nageait très mal. Il ne savait pas respirer sous l'eau, il nageait lentement, la tête nerveusement dressée au-dessus de la surface. L'étudiante était irraisonnablement amoureuse de lui et tellement délicate qu'elle nageait aussi lentement que lui. Mais comme la baignade était sur le point de prendre fin, elle voulut donner un instant libre cours à son instinct sportif et elle se dirigea, d'un crawl rapide, vers la rive opposée. L'étudiant fit un effort pour nager plus vite, mais il avala de l'eau. Il se sentit diminué, mis à nu dans son infériorité physique, et il éprouva la litost. Il se représenta son enfance maladive sans exercices physiques et sans camarades sous le regard trop affectueux de sa mère et il désespéra de lui-même et de sa vie. En rentrant tous deux par un chemin de campagne ils se taisaient. Blessé et humilié, il éprouvait une irrésistible envie de la battre. "Qu'est-ce qui te prend?" lui demanda-t-elle, et il lui fit des reproches ; elle savait bien qu'il y avait du courant près de l'autre rive, il lui avait défendu de nager de ce côté-là, parce qu'elle risquait de se noyer - et il la frappa au visage. La jeune fille se mit à pleurer, et lui, à la vue des larmes sur ses joues, il ressentit de la compassion pour elle, il la prit dans ses bras et sa litost se dissipa. (...)
Alors, qu'est-ce que c'est, la litost ?
La litost est un état tourmentant né du spectacle de notre propre misère soudainement découverte.
Parmi les remèdes habituels contre notre propre misère, il y a l'amour. Car celui qui est absolument aimé ne peut être misérable. Toutes ces défaillances sont rachetées par le regard magique de l'amour sous lequel même une nage maladroite, la tête dressée au-dessus de la surface, peut devenir charmante. L'absolu de l'amour est en réalité un désir d'identité absolue: il faut que la femme que nous aimons nage aussi lentement que nous, il faut qu'elle n'ait pas de passé qui lui appartienne en propre et dont elle pourrait se souvenir avec bonheur. Mais dès que l'illusion de l'identité absolue est brisée (la jeune fille se souvient avec bonheur de son passé ou bien elle nage vite), l'amour devient une source permanente du grand tourment que nous appelons litost.
Qui possède une profonde expérience de la commune imperfection de l'homme est relativement à l'abri des chocs de la litost. Le spectacle de sa propre misère lui est une chose banale et sans intérêt. La litost est donc propre à l'âge de l'inexpérience. C'est l'un des ornements de la jeunesse.
La litost fonctionne comme un moteur à deux temps. Au tourment succède le désir de vengeance. Le but de la vengeance est d'obtenir que le partenaire se montre pareillement misérable. L'homme ne sait pas nager, mais la femme giflée pleure. Ils peuvent donc se sentir égaux et persévérer dans leur amour.
Comme la vengeance ne peut jamais révéler son véritable motif (...), elle doit invoquer de fausses raisons. La litost ne peut donc jamais se passer d'une pathétique hypocrisie : le jeune homme proclame qu'il est fou de terreur parce que son amie risque de se noyer (...).
Ce chapitre devrait d'abord s'intituler "Qui est l'étudiant ?". Mais, s'il a traité de la litost, c'est comme s'il nous avait parlé de l'étudiant, qui n'est rien d'autre que la litost incarnée. Il ne faut donc pas s'étonner que l'étudiante, dont il est amoureux, ait finit par le quitter. Il n'est guère réjouissant de se faire battre parce qu'on sait nager".

Le livre du rire et de l'oubli (p.199-202), Milan Kundera.

Voilà, j'en conviens, un extrait long mais que je trouve éclairant. En pianotant les mots sur mon clavier, je me suis souvenue du film d'Alain Resnais Mon oncle d'Amérique dont l'histoire sert de démonstration aux théories du comportement humain exposées par le scientifique Emmanuel Laborit. Je trouve fascinante cette "histoire-prétexte" dont les personnages, totalement interchangeables, sont assimilés à des souris de laboratoire. De même, Kundera dissèque ici un aspect du comportement humain, épingle les secrets honteux de l'âme humaine - le travers que je préfère chez les écrivains. N'est-ce pas d'ailleurs la définition même du bon, du grand écrivain ? Ou est-ce que je retarde d'une guerre ? C'était vrai de Balzac, Dickens, Proust mais qu'en est-il aujourd'hui ?

vendredi 5 octobre 2007


Le contrat

"Dès les premières années de leur amour, il avait été décidé, entre Karel et Markéta, que Karel serait infidèle et que Markèta l'accepterait mais que Markèta aurait le droit d'être la meilleure et que Karel se sentirait coupable devant elle. Personne ne savait mieux que Markèta combien il est triste d'être la meilleure. Elle était la meilleure, mais seulement faute de mieux. (...) Quand elle allait au lycée, elle était indomptable, rebelle, presque trop pleine de vie. Son vieux prof de maths aimait bien la taquiner : Vous, Markèta, on ne vous passera pas la bride ! Je plains d'avance votre mari. Elle riait avec fierté, ces paroles lui semblaient d'heureux augure. Et, d'un seul coup, sans savoir comment, elle s'était retrouvée dans un tout autre rôle, contre son attente, contre sa volonté et son goût. Et tout cela, pour ne pas avoir été sur ses gardes pendant la semaine où elle avait à son insu rédigé le contrat."
Cette idée qu'exprime Kundera dans Le livre du rire et de l'oubli me turlupine depuis quelques temps. En la recopiant, je me rends compte que le style n'est peut-être pas si élégant que cela finalement, ou alors que ces phrases, sorties de leur contexte, s'affadissent. En fait, tout à coup m'est revenue en mémoire la chanson de Souchon : "Tu la voyais pas comme ça ta vie, pas d'attaché-case quand t'étais petit, on va tous pareil moyen moyen, la grande aventure tintin, moi aussi j'en ai rêvé des rêves tant pis, tu la voyais grande et c'est tout une petite vie".
La comparaison vaut ce qu'elle vaut. Soit. La prochaine fois, j'aborderai la théorie de la litost, chère à Kundera, ce qui élèvera, espérons-le, le niveau de ce blog.