jeudi 24 janvier 2008

Un de ces jours

Après mon envolée lyrique de l'autre jour sur le théâtre contemporain, j'ai discuté avec un prof d'histoire du théâtre à l'université de Caen. J'ai appris à cette occasion que la mise en scène était un concept relativement récent. Il m'a aussi recommandé de lire Le Théâtre postdramatique de Hans-Thies Lehmann : "Au lieu de représenter une histoire avec des personnages qui apparaissent et disparaissent en fonction de la psycho-logique de la narration, (l)e théâtre (postdramatique) est fragmentaire et combine des styles disparates". Et cetera.
Par ailleurs, j'ai découvert un site allemand qui vise à constituer une micro-histoire à partir de témoignages de tout un chacun sur tel ou tel événement (comme l'avènement du rap allemand, du baladeur ou des sujets plus graves comme le IIIe Reich). Un site qui, je cite un article du Monde de Lorraine Rossignol, "reflète (bien) un goût typiquement allemand pour l'histoire et la mémoire".
Et pour terminer sur une note plus légère, ce blog régalera les amateurs de musiques africaines.

vendredi 18 janvier 2008

It's a wonderful film



Dernier ravissement cinématographique : It's a wonderful Life de Frank Capra. Jouissif, idéaliste, généreux, tear-jerking comme il faut. Malgré l'aspect apparemment boy-scout du film (qui date de 46), il y a des scènes que j'ai même trouvées sensuelles. En fait, il y en a une : celle où Mary Hatch (Donna Reed) et George Bailey (James Stewart) - qui ne se sont pas encore déclaré leur flamme - , en pleine conversation téléphonique avec un ami new-yorkais, se partagent le combiné. J'ai rarement vu au cinéma une scène qui traduisait aussi bien le désir.
A propos de James Stewart, qui est décidément un de mes acteurs favoris (cf Vertigo, Rear Window, You Can't Take It With You, un autre film prodigieusement original de Capra), Martin Scorcese ne tarit pas d'éloges. Dans Mes plaisirs de cinéphile (Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma), un livre d'entretiens intéressant mais mal relié et truffé de coquilles, Scorcese y dévoile non seulement sa folle érudition (ce qu'on savait déjà depuis son documentaire sur le cinéma américain et italien) mais aussi sa générosité. Ce type a par exemple beaucoup de respect pour les acteurs. Il ne dit jamais de mal de personne. Bref, il considère James Stewart et Robert Mitchum comme "deux des plus grands acteurs de l'histoire du cinéma" :

"Ces deux acteurs a priori si opposés partageaient quelque chose d'essentiel. Le malaise de l'Amérique d'après-guerre fit de Mitchum une star et redessina radicalement l'image de Stewart – qui, lui, était déjà une star. (...) Après la Seconde Guerre Mondiale, une sorte d'obsession s'infiltra dans le travail de Stewart : une solitude, une colère profonde contre l'univers entier. Si le Stewart d'avant-guerre témoignait de quelque chose d'essentiellement américain, le Stewart d'après-guerre touchait à une dimension universelle. Le nouveau tournant dans la carrière de Stewart s'amorça avec It's a Wonderful Life (1946), dans lequel il déploie toute l'énergie dont il pouvait faire preuve pour jouer un homme au bout du rouleau (...). Ce fut dans les huit films qu'il tourna avec Anthony Mann (de Winchester 73, en 1950, à L'Homme de la plaine, en 1955) que Stewart put montrer cette nouvelle profondeur, un mélange de grande compassion, de colère inépuisable et de rage physique extrême" (p.113-115).

vendredi 4 janvier 2008

Schadefreude

Je partage l'enthousiasme de Lucie + pour la trilogie autobiographique de Marguerite Yourcenar. J'aime, entre autres, la manière dont Yourcenar décrit les photos de ses ancêtres : "cette physionomie d'homme encore jeune donne surtout l'impression du contrôle de soi, d'une sensualité et d'une rêverie dominées et de cette prudence qui consiste à se taire ou à ne pas tout dire" ou parlant de son arrière-grand tante : "le délicat visage rond est comme brouillé d'enfance" (Archives du Nord, Editions Gallimard, 50-51) ou encore dans Souvenirs pieux : "un propriétaire honnête homme, mais froid et distant, dénué de cette rondeur qui rend sympathique de cordiales crapules".
Ici une interview d'elle avec Pivot.

Voici aussi le compte-rendu d'un essai que j'ai bien envie de lire : Le théâtre et ses travers de Jean-Pierre Siméon. Il parle de la peur du théâtre contemporain de "tomber dans le pathos", l'absence "d'émotion poétique telle que l'entendait Reverdy" et de la "part heureuse, du "sentiment du oui" dont Julien Gracq, il y a déjà plusieurs décennies, déplorait la perte...".
Je sens que ce bouquin pourrait donner un sens à l'agacement que je ressens souvent au théâtre, devant cette espèce de discours convenu, volontiers bien-pensant dont l'intérêt est souvent d'apaiser les consciences. On s'ennuie au théâtre mais c'est pour la bonne cause ! L'idée, comme le dit Siméon, que le spectateur doit être "intelligent, rusé et savant". Laissez-le donc tranquille, le spectateur ! Comme si Shakespeare s'était attendu à ce que son spectateur soit bête, inculte et ignorant ! Moi, spectatrice, je veux réfléchir mais aussi rêver, trembler, être émue...
Ce postmodernisme ambiant du "tout se vaut" m'écœure d'autant plus que j'en suis moi-même victime. D'ailleurs, je vais voir Les Monologues voilés la semaine prochaine (cf. mon article dans le prochain Agenda), sorte de Monologues du vagin, version femmes musulmanes vivant en Occident. J'espère être étonnée. En fait, c'est ça : j'ai l'impression que les dramaturges contemporains sont souvent séduits par une idée mais manquent d'inventivité quant à la forme (c'est-à-dire le texte, la mise en scène, la scénographie); autrement dit, je suis frappée par le vide de la plupart des pièces que je vois. Pour moi, l'illustration parfaite de ce phénomène, c'est une pièce comme Opéra de Tiago Guedes où deux acteurs - dont la seule particularité est de porter un costume couleur chair en tissu damassé moulant - miment les paroles de Dido & Aeneas, l'opéra d'Henri Purcell dont on nous passe le CD et nous font la grâce de quelques poses inconfortables dont le ridicule est peut-être voulu. Comment en arrive-t-on là ?
Adelheid Roosen, l'auteur des Monologues voilés, a l'air d'une autre trempe. A suivre...

Le titre "Schadefreude" signifie en allemand "la joie que l'on ressent devant le malheur d'autrui". A propos de cette perspicacité et cette concision toutes germaniques, j'allais citer cette phrase d'un auteur que je pensais allemand mais qui s'avère être Talleyrand : "Méfiez-vous de votre premier mouvement, il est toujours généreux" - un adage qui m'a servi dans bien des situations...